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Ops Room Blog
20 décembre 2005

Reims: Avoir le TGV et l'avion quand même ...

Le sauvetage d'Air Turquoise par les collectivités locales relance la polémique sur l'utilité d'un aéroport.

Il est 9 h 30, et sur la piste un ATR 42- 500 à hélices, quarante-quatre sièges, estampillé Air Turquoise, fraîchement arrivé de Marseille, s'apprête à redécoller vers Bordeaux. Le hall de l'aéroport évoque Orly en miniature : un unique comptoir d'enregistrement, quelques sièges où patientent des cadres, et un bar. L'avion parti, ce dernier ferme, et c'est le directeur adjoint de l'aéroport qui s'y colle pour encaisser le prix des cafés.

A quelques mois de l'ouverture du TGV Est, l'aéroport Reims-Champagne, planté en plein champ à dix minutes du centre-ville, appelle une interrogation brutale sur la pertinence de disposer ici d'une telle infrastructure et d'une compagnie aérienne. «Les TGV Paris-Reims ne nous concurrenceront pas, c'est, au contraire, un atout à venir», rétorque Jean-Baptiste Cuisinier, PDG d'Air Turquoise, dernière-née des compagnies hexagonales qui dessert Marseille, Bordeaux et Nice depuis cet été. Dans son bureau d'une quinzaine de mètres carrés où s'entassent bureaux et écrans d'ordinateurs, il égrène toutes les raisons d'y croire, «la demande de transport qui s'accroît plus vite de région à région que de Paris à région», «la souplesse du transport aérien». Et se voit en «complément» d'un TGV, «parfait pour transporter des millions de personnes», et des autres compagnies aériennes. Comme l'irlandaise Ryanair, qui a déserté Reims en janvier 2004 après huit mois de desserte faute de pistes assez solides pour accueillir ses Boeing. «On ne joue pas dans la même cour que les grosses low-cost. Nous, c'est l'omnibus : c'est aussi simple que d'aller au cinéma, argue Cuisinier. On a même fait des baptêmes de l'air ! Et si on allait à Nice, mémère ? Et hop, le couple de retraités part en week-end.» Avec des billets vendus entre 50 et 200 euros, et un vol pour Londres en projet, il se dit certain de la viabilité d'Air Turquoise.

Un partenaire. Même convaincant, cet ancien conseiller d'Hervé Gaymard au ministère de l'Agriculture ne peut esquiver ses difficultés. Inaugurée fin juin avec trois mois de retard, la compagnie manque tout d'abord une bonne part des réservations de l'été. Puis en rajoute dans la mouise avec le crash d'un ATR d'une filiale de Tunisair le 6 août, au large de Palerme. «Nos ventes se sont effondrées pendant trois semaines», indique Jean-Baptiste Cuisinier. Parti avec un pécule limité de deux millions d'euros, Air Turquoise souffre déjà. «J'ai bouffé cet été la trésorerie sur laquelle je comptais cet hiver.» Malgré la reprise d'une partie des recettes éprouvées des low-costs (réservations via le Net, commandants de bord chargés aussi de la direction des ressources humaines ou de la logistique), Air Turquoise (vingt et un salariés) cherche un partenaire pour assurer sa survie. Dans l'attente, la compagnie a obtenu un million d'euros du Crédit Agricole, garanti pour moitié par les collectivités locales.

Un soutien avec de l'argent public qui, officiellement, n'a déclenché aucune polémique. Mais, micro éteint, un cadre territorial fait remarquer que ces sommes «seraient peut-être mieux utilisées à renforcer les liaisons régionales avec le TGV plutôt qu'à soutenir une compagnie aérienne». Bien plus qu'Air Turquoise, c'est le financement même de l'aérodrome qui suscite le plus d'interrogations. «Comme la plupart des aéroports français, en dehors des plates-formes majeures, celui de Reims est déficitaire», confirme Philippe Wittwer, le directeur du développement économique de la chambre de commerce et d'industrie de Reims et d'Epernay. Chaque année, la CCI doit sortir entre 400 000 et 450 000 euros pour boucher les trous. Et Air Turquoise n'y change rien : si les redevances et taxes augmentent les revenus de l'aéroport, il a fallu embaucher l'équivalent de cinq temps pleins pour encaisser le surcroît d'activité. «Ça ne permet pas d'améliorer sensiblement le résultat final», indique Philippe Wittwer.

Une niche. En décembre dernier, la CCI a ainsi dénoncé la concession de l'aéroport, en réclamant d'associer l'agglomération de Reims à son financement car «la chambre de commerce ne peut pas porter à elle seule le développement de l'aéroport si, collectivement, nous jugeons que c'est utile à l'économie locale». Le montage est en cours de négociation, mais pas question pour autant de voir là un «chantage» et la perspective d'un désengagement complet. Philippe Wittwer affirme encore croire à l'impact de l'aéroport sur le commerce régional, malgré l'arrivée du TGV. «Il n'y a pas de risque de cannibalisation, dit-il. Le TGV va interdire certaines destinations, mais à l'inverse, il peut susciter l'émergence de lignes nouvelles astucieusement combinées avec le train». Même écho pour Jean-Yves Heyer, directeur de Reims Champagne développement et chargé de la promotion économique de la ville, qui parle d'une «niche» à des «prix corrects». «Pour aller dans le Sud, je prendrai moi-même Air Turquoise.» Toutefois, lorsqu'il assure la promotion de la région auprès des entreprises, il évoque un tout autre aéroport de Reims : celui de Roissy, qui sera à trente minutes de la ville avec le TGV.

par Florent LATRIVE pour LIBERATION

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