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Ops Room Blog
27 juin 2006

Les réquisitions du procureur : journée du 20 juin 06

Avec un peu de retard, voici le compte rendu de notre visite à Colmar lors des réquisition du parquet le 20 juin dernier.

Ce document n’est pour l’instant qu’une version électronique des notes prises à la volée lors de cette après midi de réquisitions. Il n’y aucune interprétation personnelle, il s’agit simplement de la retranscription la plus fidèle possible des paroles du ministère public.

 Remarque : ECHO a organisé l’occupation de la salle en laissant un grand carré d’environ 87 chaises vides représentants les victimes.

 Le procureur insiste sur la qualité des documents qui ont été présentés mais rappelle qu’ils ont chacun été construits pour servir une thèse et qu’ils n’ont donc pas valeur d’expertise.

 Le ministère public considère que le long débat qui a eu lieu était humainement nécessaire, techniquement utile et montre qu’il n’y a pas de science absolue.

 Il regrette la durée de l’instruction qui a si longtemps fait peser le poids de l’inculpation puis de la mise en examen sur les prévenus … il dit mesurer le poids de l’accusation publique.

 Son rôle ici sera de passer des charges à la preuve.

Il n’y a pas d’intime conviction en correctionnelle, il faut s’appuyer sur des preuves. La preuve c’est l’expression argumentée de l’intime conviction.

La technicité des débats ne fait pas oublier l’émotion des victimes et ce procès n’est pas celui des pilotes. Il faut néanmoins dépasser l’émotion pour dire le droit.

 Le parquet pose ensuite le décor :

 Pour le procureur, les personnalités des deux pilotes font qu’il considère l’équipage comme assez complémentaire. Il rappelle le contexte de pression économique sur Air Inter, les tensions sociales internes à la compagnie avec notamment les grèves sur le pilotage à 2. Il note aussi l’avion nouveau pour lequel on sait que l’on n’avait pas atteint encore la maturité, preuve en est le programme même d’Airbus « Acquérir la maturité sur A320 ». Il rappelle d’ailleurs que le commandant Hecquet avait fait part de ses inquiétudes à des proches.

 LFST aéroport militaire ouvert à la CAP- contrôle militaire – Pas d’ILS sur la 05 d’où un choix à faire par les équipages entre une VOR/DME 05 et une ILS 23 suivie d’une MVL.

 Initialement le choix se porte sur une ILS 23-MVL qualifié de judicieux par les experts puisque l’ILS23 représente 75% des approches à LFST et que la VOR/DME est plus délicate surtout sur les avions modernes parce qu’elle conduit à faire des insertions dans le calculateur.

 Il considère que le gain de temps justifiant le guidage radar proposé au pilote n’est pas significatif et rappelle que l’un des experts (VENET) s’est interrogé sur la validité du choix qui a consisté à donner la priorité aux départs dans la séquence.

 Dans les échanges, juste avant l’autorisation d’approche, Monsieur Lammari annonce à l’avion qu’il est travers droit ANDLO alors qu’il est a gauche d’ANDLO. Tout le monde a vu cela comme un lapsus qui n’a d’ailleurs pas de conséquence sur l’accident mais le prévenu nous a donné d’autres explications … nous y reviendrons.

 L’enquête judiciaire :

 Le procureur a choisi le juge Guichard à cause de l’enquête sur le crash d’Habsheim qu’il avait réalisé. Il évoque la qualité du travail en évoquant un déplacement difficile sur un lieu d’apocalypse avec pour mission la protection des preuves et en particulier des enregistreurs.

 Désignation des experts Belotti-Venet.

 Enquête se déroule autour de 2 axes :

  • Les secours : le proc rappelle que le juge n’a conclu à aucune faute de nature pénale.
  • Les causes de l’accident.

 Il y a eu un rapport rapide de la commission d’enquête administrative qui ne peut néanmoins servir de base à l’enquête judiciaire … pourtant tout y est dit.

 Le rapport des experts judiciaires reprend les mêmes éléments mais de façon plus critique.

 Il y a ensuite eu des rapports complémentaires sur les enregistreurs, puis sur le VOR. Ici débute des divergences entre les experts : Venet considère que le VOR n’est pas adapté pour les approches alors que pour Belotti la causalité est exclue. Par la suite encore, lorsque Ziegler (Airbus) présentera sa théorie de la double pente, Venet s’y opposera alors que Belotti la soutiendra.

 En 1997, le dossier est transmis au parquet avec une ordonnance de renvoi très détaillée.

 Le parquet demande une contre expertise confié à Guibert sur la question essentielle de la programmation volontaire ou pas de la descente, sur le VOR et sur les enregistrements QAR.

 Enfin une dernière expertise aura lieu qui met en cause le DME.

 Le juge rejettera d’autres demandes d’expertises faites par les mis en examen.

L’accident :

 Le procureur retient pour cause un guidage radar approximatif, un équipage inexpérimenté, un matériel pas abouti à l’ergonomie tolérante, une erreur de représentation de l’équipage qui l’a conduit à descendre à un taux 4 fois supérieur à la normale.

 Il va maintenant falloir déterminer les responsabilités pénales.

 Sur le défaut d’alignement, il n’est pas dans l’axe c’est sûr mais il demande au tribunal de retenir la démonstration de Guibert qui parait probante si on la compare avec la trajectoire de l’accident d’Habsheim…. Cela va en la faveur de monsieur Lammari selon le parquet.

 Sur la descente, elle ne dure qu’une minute en débutant à 11NM de STR ce qui est conforme. Il demande au tribunal de conclure à une descente à un taux involontaire. Il n’y a que Airbus qui défend la thèse d’un taux volontaire avec la théorie de la double pente ( un taux à 3600’ qui aurait été affiché pour compenser le ballooning rencontré lors de la sortie des volets) qui est réfutée par les experts Guibert et Wanaz.

 L’équipage voulait une pente de 3.3° en mode Track/FPA … il était pourtant en mode HVS comme c’est normalement le cas en guidage radar.

 Compte tenu de ce que l’on sait de lui, ce pilote n’aurait pas pu descendre à 3300’/min de façon volontaire avec en plus l’acceptation de son copi que l’on sait volontiers interventionniste : cette hypothèse défie l’entendement et la Justice à besoin de vraisemblance !

 Cette thèse n’a d’ailleurs été avancée que dès lors que l’ergonomie à commencer à être mise en cause … ce n’est pas sérieux.

 Sur les disfonctionnements et appariement de l’équipage, le parquet retient qu’il y a un problème de dialogue interne et aussi avec le contrôle, qu’il n’y avait pas de normes d’appariement d’équipage à l’époque mais que c’était toutefois une préoccupation du CHSCT d’Air Inter.

 Le proc relève le paradoxe de vouloir des équipages expérimentés sur un matériel nouveau.

 Sur la procédure VOR/DME, il constate qu’elle est triplement dérogatoire, qu’elle a 10 ans au moment de l’accident et qu’elle avait été approuvée par Air Inter. Il remarque aussi que de telles procédures sont dites classiques et France alors qu’aux USA on les nomme comme procédures de NON précision.

 Sur le guidage radar, il a été mis en cause jusqu’à l’expertise de Guibert. Le matériel ne permettait pas un guidage de précision ce qui n’a pas été annoncé et le dernier virage ne permettra pas à l’avion de passer à ANDLO.

 Les problèmes d’ergonomie sont retenus pour leur tolérance à l’erreur.

 Les aspects VOR et DME sont retenus.

Aspects de droit :

 Tout en s’en excusant auprès du tribunal le proc veut faire un peu de pédagogie autour de points de droit.

 En particulier, il va falloir regarder la responsabilité pénale à la lumière des modifications du code pénal notamment vis-à-vis des personnes morales (ici seules les personnes physique sont en cause). On applique la loi Fauchon et l’Art 121-3 du CP.

 Il ne faut pas confondre causalité directe et causalité certaine … il faut et il suffit que la faute est contribuée de manière raisonnable … qu’elle contienne la probabilité de l’issue fatale ou bien qu’elle contribue à la faute ultérieure éventuellement commise par un autre.

 Et de conclure que l’aviation ne tolère pas de risque conscient.

Responsabilités individuelles

  •  Lammari

 Le proc commence par une mise en cause de Billart qui n’aurait pas été efficient même si cela n’a pas de lien de causalité.

 Le gain de temps prétendu justifiant la proposition du guidage est faible.

 Il aurait préféré que l’on donne priorité à l’approche plutôt qu’aux décollages.

 Charge 1 : l’équipage n’a pas pu confondre un guidage d’app et un guidage de précision, charge non retenue.

 Charge 2 : la position a été annoncée dans les règles de l’art, charge non retenue.

 Charge 3 : Cap 090, il n’y avait pas d’inconvénient à poursuivre plus longtemps la vent arrière … au moins deux min de plus. C’est un guidage pas exemplaire. Le grief est retenu parce que l’avion ne peut pas rejoindre ANDLO à 5000’. Cela accroit la charge de travail de l’équipage et a largement contribué à l’accident. La procédure dérogatoire et la première approche trop haut trop vite pas prêts a aggravé les choses.

 Le proc reprend alors un témoignage du Commandant Durand à qui le contrôle a fait une proposition d’approche non-conforme (qui ne permet pas une approche stabilisée) et étrangement comparable qu’il a du refusé. Le procureur reconnaît que l’argument est retournable au sens ou l’équipage aurait pu refuser de la même façon la manœuvre s’il la considérait dangereuse ... mais la faute des uns n’est pas exonératoire de celle des autres et ici il suffit de rechercher la causalité.

 Charge 4 : annonce de position, grief non retenu.

 Charge 5 : phraseo, non retenu.

 Charge 6 : Lapsus droite au lieu de gauche retenu de façon marginale. La justification « bidon » de Lammari n’est pas acceptable. Il y a ici un manque d’élégance même si votre faute est peu lourde.

 Charge 7 : pas d’annonce de fin du guidage radar retenue même s’il est admis que de façon habituelle on fini la guidage radar de façon non explicite en autorisant à l’approche.

 Il y a causalité indirecte et faute caractérisée au regard de l’aspect particulier du vol qui n’a pas été appréhendé.

  •  Rantet

 Il n’y avait pas de gestion spécifique d’appariement des équipages à Air Inter à l’époque ni dans aucune autres compagnie d’ailleurs … mais cela n’exclu pas l’absence d’imprudence. Les règles de l’art auraient voulu au moins un pilote d’un an d’expérience car c’est ce qui sera fait par la suite … mais on nous dit beaucoup ce qu’il ne fallait pas faire … et pas ce qu’il fallait faire ! Il faut aussi prendre en compte le fait qu’à Air Inter les fréquences des approches étaient beaucoup plus élevé qu’à AF en regard de la longueur des trajets.

Le proc ne souhaite pas que le tribunal entre en voie de condamnation pour Rantet.

  •  Ziegler

 Charge 1 : ergonomie. Vous méritez probablement tous les prix que vous revendiquez. Toute l’ergonomie n’est pas critiquée ici mais il fallait toutefois mettre la bonne information au bon endroit.

 Il y a une faute caractérisée pour la connaissance et la conscience des problèmes d’ergonomie alors que vous aviez les moyens de vos actes. Il y a eu l’acceptation d’un risque marginal et aussi une réticence à reconnaître que tout n’est pas parfait.

 Charge 2 : VOR/DME. Il y a un lien de causalité mais il n’est pas suffisant pour entrer en voie de condamnation.

 Après 3 heures de réquisition le président propose une pose avant de passer la parole au deuxième représentant du parquet.

 Le deuxième procureur se lance ici dans une longue plaidoirie sur le sujet unique du GPWS.

 C’est un exemple d’immobilisme et d’absence de réglementation.

 Air Inter attend la réglementation et l’administration de tutelle attend que Air Inter soit prête !

 En 92, 95% des avions étaient équipés … 75 % en France … ceux qui reste c’est probablement que ceux d’Air Inter.

 Aucun avion ne s’est écrasé à cause du GPWS, il y a des fausses alarmes mais alors il faut faire plus en matière de consignes d’utilisation ou de formation plutôt que sans.

 Arslanian a regretté avoir recommandé l’emport du GPWS dans son rapport du BEA si cela a conduit à dégager une responsabilité pénale.

 La convention de l’OACI ne s’applique pas aux vols intérieurs mais elle est une référence sérieuse pour apprécier un minimum vital.

  •  Gourgeon

 Il faut nuancer en fonction de l’ampleur de la fonction de DG. On ne peut pas démontrer qu’il ait été informé … pas de réquisition.

  •  Frantzen

 C’est une autre affaire. Nous avons ici droit à un démontage en règle de la manœuvre tentée pour non recevabilité et incompétence du tribunal.

 Il faut distinguer la notion de faute caractérisée de celle de faute délibérée.

 Il y a eu ici une absence totale de diligence.

 Vis-à-vis de la notification des différences à l’OACI … il n’y avait ni impossibilité ni nécessité de faire autre chose … il n’y a aucun argumentaire : la France n’a en la matière pas remplie ses obligations.

 Air Inter a bénéficiée d’une protection appuyée. Il n’y a eu aucune inspection de l’OCV entre 88 et 92 après la mise en place du pilotage à deux. L’OCV mal renseignée croyait que le GPWS était présent mais déconnecté par les pilotes !

  • Cauvin

 Pas d’initiative.

 Airbus avait proposé un GPWS dès l’avion N°1 signé par le directeur des avions nouveaux chez AI. Il y a même eu une demande et un accord pour le reste de la flotte … mais finalement la réglementation ne l’obligeant pas Cauvin décide de ne pas le prendre.

 Peines requises

 Le proc rappelle que le maximum applicable est celui en vigueur à l’époque des faits soit 2ans de prison et 30000 F d’amende.

 Il insiste sur la valeur symbolique de la peine, qui n’a ni connotation morale ni infamante. Il est clair ici que le but de tous les prévenus n’était pas de faire écraser des avions.

 Il s’agît bien sûr de fautes involontaires avec un lien causal indirect pour Lammari.

 Lammari : 9 mois avec sursis

 

Cauvin : 12 mois avec sursis

 

Frantzen : 12 mois avec sursis

 

Ziegler : 12 mois avec sursis

 

Geourgeon et Rantet : pas de peine requise.

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