Avec un peu de retard, voici le compte rendu de notre visite à Colmar lors des réquisition du parquet le 20 juin dernier.
Ce document n’est pour l’instant
qu’une version électronique des notes prises à la volée lors de cette après
midi de réquisitions. Il n’y aucune interprétation personnelle, il s’agit
simplement de la retranscription la plus fidèle possible des paroles du
ministère public.
Remarque :
ECHO a organisé l’occupation de la salle en laissant un grand carré d’environ
87 chaises vides représentants les victimes.
Le procureur insiste sur la qualité des documents qui ont
été présentés mais rappelle qu’ils ont chacun été construits pour servir une
thèse et qu’ils n’ont donc pas valeur d’expertise.
Le ministère public considère que le long débat qui a eu
lieu était humainement nécessaire, techniquement utile et montre qu’il n’y a
pas de science absolue.
Il regrette la durée de l’instruction qui a si longtemps
fait peser le poids de l’inculpation puis de la mise en examen sur les prévenus
… il dit mesurer le poids de l’accusation publique.
Son rôle ici sera de passer des charges à la preuve.
Il n’y a pas
d’intime conviction en correctionnelle, il faut s’appuyer sur des preuves. La
preuve c’est l’expression argumentée de l’intime conviction.
La technicité des débats ne fait pas oublier l’émotion des
victimes et ce procès n’est pas celui des pilotes. Il faut néanmoins dépasser
l’émotion pour dire le droit.
Le parquet pose ensuite le décor :
Pour le procureur, les personnalités des deux pilotes font
qu’il considère l’équipage comme assez complémentaire. Il rappelle le contexte
de pression économique sur Air Inter, les tensions sociales internes à la
compagnie avec notamment les grèves sur le pilotage à 2. Il note aussi l’avion
nouveau pour lequel on sait que l’on n’avait pas atteint encore la maturité,
preuve en est le programme même d’Airbus « Acquérir la maturité sur
A320 ». Il rappelle d’ailleurs que
le commandant Hecquet avait fait part de ses inquiétudes à des proches.
LFST aéroport militaire ouvert à la CAP- contrôle militaire –
Pas d’ILS sur la 05 d’où un choix à faire par les équipages entre une VOR/DME
05 et une ILS 23 suivie d’une MVL.
Initialement le choix se porte sur une ILS 23-MVL qualifié
de judicieux par les experts puisque l’ILS23 représente 75% des approches à
LFST et que la VOR/DME est plus délicate surtout sur les avions modernes parce
qu’elle conduit à faire des insertions dans le calculateur.
Il considère que le gain de temps justifiant le guidage
radar proposé au pilote n’est pas significatif et rappelle que l’un des experts
(VENET) s’est interrogé sur la validité du choix qui a consisté à donner la
priorité aux départs dans la séquence.
Dans les échanges, juste avant l’autorisation d’approche,
Monsieur Lammari annonce à l’avion qu’il est travers droit ANDLO alors qu’il
est a gauche d’ANDLO. Tout le monde a vu cela comme un lapsus qui n’a
d’ailleurs pas de conséquence sur l’accident mais le prévenu nous a donné
d’autres explications … nous y reviendrons.
L’enquête judiciaire :
Le procureur a choisi le juge Guichard à cause de l’enquête
sur le crash d’Habsheim qu’il avait réalisé. Il évoque la qualité du travail en
évoquant un déplacement difficile sur un lieu d’apocalypse avec pour mission la
protection des preuves et en particulier des enregistreurs.
Désignation des experts Belotti-Venet.
Enquête se déroule autour de 2 axes :
- Les secours : le proc rappelle que le juge n’a conclu à aucune faute de nature pénale.
- Les causes de l’accident.
Il y a eu un rapport rapide de la commission d’enquête
administrative qui ne peut néanmoins servir de base à l’enquête judiciaire …
pourtant tout y est dit.
Le rapport des experts judiciaires reprend les mêmes
éléments mais de façon plus critique.
Il y a ensuite eu des rapports complémentaires sur les
enregistreurs, puis sur le VOR. Ici débute des divergences entre les
experts : Venet considère que le VOR n’est pas adapté pour les approches
alors que pour Belotti la causalité est exclue. Par la suite encore, lorsque
Ziegler (Airbus) présentera sa théorie de la double pente, Venet s’y opposera
alors que Belotti la soutiendra.
En 1997, le dossier est transmis au parquet avec une
ordonnance de renvoi très détaillée.
Le parquet demande une contre expertise confié à Guibert sur
la question essentielle de la programmation volontaire ou pas de la descente,
sur le VOR et sur les enregistrements QAR.
Enfin une dernière expertise aura lieu qui met en cause le
DME.
Le juge rejettera d’autres demandes d’expertises faites par
les mis en examen.
L’accident :
Le procureur retient pour cause un guidage radar
approximatif, un équipage inexpérimenté, un matériel pas abouti à l’ergonomie
tolérante, une erreur de représentation de l’équipage qui l’a conduit à
descendre à un taux 4 fois supérieur à la normale.
Il va maintenant falloir déterminer les responsabilités
pénales.
Sur le défaut d’alignement, il n’est pas dans l’axe c’est
sûr mais il demande au tribunal de retenir la démonstration de Guibert qui
parait probante si on la compare avec la trajectoire de l’accident d’Habsheim….
Cela va en la faveur de monsieur Lammari selon le parquet.
Sur la descente, elle ne dure qu’une minute en débutant à
11NM de STR ce qui est conforme. Il demande au tribunal de conclure à une
descente à un taux involontaire. Il n’y a que Airbus qui défend la thèse d’un
taux volontaire avec la théorie de la double pente ( un taux à 3600’ qui aurait été affiché
pour compenser le ballooning rencontré lors de la sortie des volets) qui est
réfutée par les experts Guibert et Wanaz.
L’équipage voulait une pente de 3.3° en mode Track/FPA … il
était pourtant en mode HVS comme c’est normalement le cas en guidage radar.
Compte tenu de ce que l’on sait de lui, ce pilote n’aurait
pas pu descendre à 3300’/min de façon volontaire avec en plus l’acceptation de
son copi que l’on sait volontiers interventionniste : cette hypothèse
défie l’entendement et la Justice à besoin de vraisemblance !
Cette thèse n’a d’ailleurs été avancée que dès lors que
l’ergonomie à commencer à être mise en cause … ce n’est pas sérieux.
Sur les disfonctionnements et appariement de l’équipage, le
parquet retient qu’il y a un problème de dialogue interne et aussi avec le
contrôle, qu’il n’y avait pas de normes d’appariement d’équipage à l’époque
mais que c’était toutefois une préoccupation du CHSCT d’Air Inter.
Le proc relève le paradoxe de vouloir des équipages
expérimentés sur un matériel nouveau.
Sur la
procédure VOR/DME, il constate qu’elle est triplement
dérogatoire, qu’elle a 10 ans au moment de l’accident et qu’elle avait été
approuvée par Air Inter. Il remarque aussi que de telles procédures sont dites
classiques et France alors qu’aux USA on les nomme comme procédures de NON
précision.
Sur le guidage radar, il a été mis en cause jusqu’à
l’expertise de Guibert. Le matériel ne permettait pas un guidage de précision
ce qui n’a pas été annoncé et le dernier virage ne permettra pas à l’avion de
passer à ANDLO.
Les problèmes d’ergonomie sont retenus pour leur tolérance à
l’erreur.
Les aspects VOR et DME sont retenus.
Aspects de droit :
Tout en s’en excusant auprès du tribunal le proc veut faire
un peu de pédagogie autour de points de droit.
En particulier, il va falloir regarder la responsabilité
pénale à la lumière des modifications du code pénal notamment vis-à-vis des
personnes morales (ici seules les personnes physique sont en cause). On
applique la loi Fauchon et l’Art 121-3 du CP.
Il ne faut pas confondre causalité directe et causalité
certaine … il faut et il suffit que la faute est contribuée de manière
raisonnable … qu’elle contienne la probabilité de l’issue fatale ou bien
qu’elle contribue à la faute ultérieure éventuellement commise par un autre.
Et de conclure que l’aviation ne tolère pas de risque
conscient.
Responsabilités individuelles
Le proc commence par une mise en cause de Billart qui
n’aurait pas été efficient même si cela n’a pas de lien de causalité.
Le gain de temps prétendu justifiant la proposition du
guidage est faible.
Il aurait préféré que l’on donne priorité à l’approche
plutôt qu’aux décollages.
Charge 1 : l’équipage n’a pas pu confondre un guidage
d’app et un guidage de précision, charge non retenue.
Charge 2 : la position a été annoncée dans les règles
de l’art, charge non retenue.
Charge 3 : Cap 090, il n’y avait pas d’inconvénient à
poursuivre plus longtemps la vent arrière … au moins deux min de plus. C’est un
guidage pas exemplaire. Le grief est retenu parce que l’avion ne peut pas
rejoindre ANDLO à 5000’. Cela accroit la charge de travail de l’équipage et a largement contribué à l’accident. La procédure dérogatoire et la
première approche trop haut trop vite pas prêts a aggravé les choses.
Le proc reprend alors un témoignage du Commandant Durand à
qui le contrôle a fait une proposition d’approche non-conforme (qui ne permet
pas une approche stabilisée) et étrangement comparable qu’il a du refusé. Le
procureur reconnaît que l’argument est retournable au sens ou l’équipage aurait
pu refuser de la même façon la manœuvre s’il la considérait dangereuse ... mais
la faute des uns n’est pas exonératoire de celle des autres et ici il suffit de
rechercher la causalité.
Charge 4 : annonce de position, grief non retenu.
Charge 5 : phraseo, non retenu.
Charge 6 : Lapsus droite au lieu de gauche retenu de
façon marginale. La justification « bidon »
de Lammari n’est pas acceptable. Il y a ici un manque d’élégance même si votre
faute est peu lourde.
Charge 7 : pas d’annonce de fin du guidage radar
retenue même s’il est admis que de façon habituelle on fini la guidage radar de
façon non explicite en autorisant à l’approche.
Il y a causalité indirecte et faute caractérisée au regard
de l’aspect particulier du vol qui n’a pas été appréhendé.
Il n’y avait pas de gestion spécifique d’appariement des
équipages à Air Inter à l’époque ni dans aucune autres compagnie d’ailleurs …
mais cela n’exclu pas l’absence d’imprudence. Les règles de l’art auraient
voulu au moins un pilote d’un an d’expérience car c’est ce qui sera fait par la
suite … mais on nous dit beaucoup ce qu’il
ne fallait pas faire … et pas ce qu’il fallait faire ! Il faut aussi
prendre en compte le fait qu’à Air Inter les fréquences des approches étaient
beaucoup plus élevé qu’à AF en regard de la longueur des trajets.
Le proc ne souhaite pas que le tribunal entre en voie de
condamnation pour Rantet.
Charge 1 : ergonomie. Vous méritez probablement tous
les prix que vous revendiquez. Toute l’ergonomie n’est pas critiquée ici mais
il fallait toutefois mettre la bonne information au bon endroit.
Il y a une faute caractérisée pour la connaissance et la
conscience des problèmes d’ergonomie alors que vous aviez les moyens de vos
actes. Il y a eu l’acceptation d’un risque marginal et aussi une réticence à
reconnaître que tout n’est pas parfait.
Charge 2 : VOR/DME. Il y a un lien de causalité mais il
n’est pas suffisant pour entrer en voie de condamnation.
Après 3 heures de réquisition le président propose une pose avant de
passer la parole au deuxième représentant du parquet.
Le deuxième procureur se lance ici dans une longue
plaidoirie sur le sujet unique du GPWS.
C’est un exemple d’immobilisme et d’absence de
réglementation.
Air Inter attend la réglementation et l’administration de
tutelle attend que Air Inter soit prête !
En 92, 95% des avions étaient équipés … 75 % en France …
ceux qui reste c’est probablement que ceux d’Air Inter.
Aucun avion ne s’est écrasé à cause du GPWS, il y a des
fausses alarmes mais alors il faut faire plus en matière de consignes
d’utilisation ou de formation plutôt que sans.
Arslanian a regretté avoir recommandé l’emport du GPWS dans
son rapport du BEA si cela a conduit à dégager une responsabilité pénale.
La convention de l’OACI ne s’applique pas aux vols
intérieurs mais elle est une référence sérieuse pour apprécier un minimum
vital.
Il faut nuancer en fonction de l’ampleur de la fonction de
DG. On ne peut pas démontrer qu’il ait été informé … pas de réquisition.
C’est une autre affaire. Nous avons ici droit à un démontage
en règle de la manœuvre tentée pour non recevabilité et incompétence du
tribunal.
Il faut distinguer la notion de faute caractérisée de celle
de faute délibérée.
Il y a eu ici une absence totale de diligence.
Vis-à-vis de la notification des différences à l’OACI … il
n’y avait ni impossibilité ni nécessité de faire autre chose … il n’y a aucun
argumentaire : la France n’a en la matière pas remplie ses obligations.
Air Inter a bénéficiée d’une protection appuyée. Il n’y a eu
aucune inspection de l’OCV entre 88 et 92 après la mise en place du pilotage à
deux. L’OCV mal renseignée croyait que le GPWS était présent mais déconnecté
par les pilotes !
Pas d’initiative.
Airbus avait proposé un GPWS dès l’avion N°1 signé par le
directeur des avions nouveaux chez AI. Il y a même eu une demande et un accord
pour le reste de la flotte … mais finalement la réglementation ne l’obligeant
pas Cauvin décide de ne pas le prendre.
Peines requises
Le proc rappelle que le maximum applicable est celui en
vigueur à l’époque des faits soit 2ans de prison et 30000 F d’amende.
Il insiste sur la valeur symbolique de la peine, qui n’a ni connotation
morale ni infamante. Il est clair ici que le but de tous les prévenus n’était
pas de faire écraser des avions.
Il s’agît bien sûr de fautes involontaires avec un lien
causal indirect pour Lammari.
Lammari : 9 mois avec sursis
Cauvin : 12 mois avec sursis
Frantzen : 12 mois avec sursis
Ziegler : 12 mois avec sursis
Geourgeon et Rantet : pas de peine requise.